Histoire du lieu
Fours couchés typiques de la Puisaye
La Maison du Chanoine est une demeure atypique située dans le paisible hameau du Chaineau, non loin de Treigny (Yonne). Témoin fondamental de l’histoire potière de la Puisaye, elle se compose de multiples bâtiments : ateliers, bûchers et fours qui formaient autrefois deux anciennes fabriques de poteries utilitaires. Il subsiste deux fours dits « couchés » typiques de la région. L’un date de la fin du xviiie siècle et le second, plus grand, du xixe siècle. Ils ne fonctionnent plus mais demeurent en bon état de conservation et aident à comprendre le fonctionnement des ateliers de fabrication des céramiques traditionnelles. Sortes de tunnels voûtés, plus longs que hauts, les fours couchés sont entièrement construits en briques. Au fil des cuissons de jadis, cendres et sels se sont vitrifiés aux briques formant de courtes stalactites bleutées scintillantes. Bouteilles, gourdes, saloirs à anses et pichets ont été retrouvés sur le site.
Pierre-Georges Grossier, un potier devenu chanoine
Quand Pierre Grossier meurt en 1890, il est non seulement le dernier potier d’une dynastie d’artisans, mais aussi l’un des derniers potiers de la commune de Treigny. Son fils, Pierre-Georges Grossier – le fameux chanoine –, né en 1879 au Chaineau, entreprend son apprentissage de potier puis embrasse une carrière ecclésiastique et devient chanoine.
Titulaire de la chaire de Philosophie au Grand Séminaire de Sens où il enseigne de 1911 à 1938, il est promu officier d’Académie, distinction qui honore les membres de l’Université et atteste de ses hautes qualités de philosophe, écrivain, poète et historien. Il a rédigé de nombreux articles pour le journal La Croix et plusieurs ouvrages dont les Récits et Légendes de Puisaye, suivis de quelques poèmes (1954) qui témoignent de sa passion pour la poésie et de l’importance de recueillir les traditions populaires.
En 1945, le chanoine Grossier hérite du château de Ratilly, imposante forteresse pourvue de six tours rondes et de douves sèches, datant du xiiie siècle et remaniée au xvie et xviie siècles. Il entreprend de restaurer le château mais face à l’ampleur de travaux, il se résout à le vendre. Les jeunes artistes visionnaires Jeanne et Norbert Pierlot l’acquièrent en 1951. Ils organisent de nombreux spectacles, concerts et expositions de renommée et mettent en place un atelier au service d’une démarche novatrice à l’époque : enseigner la céramique sous forme de stages. De grands noms de la céramique viendront à Ratilly : Georges Jouve, Shôji Hamada, Bernard Leach, Antoine de Vinck, Daniel de Montmollin, Yves et Monique Mohy, Jean et Jacqueline Lerat, Gustave Tiffoche, Helena Klug, Elisabeth Guerry ou Francine Delpierre. Ratilly devient l’un des tout premiers centres privés français d’art contemporain en milieu rural où exposeront de leur vivant Calder, Bazaine, Ubac, Chillida, Van Velde, Geneviève Asse…
En 1953, cherchant calme et paix intérieure, le chanoine Grossier se retire au Chaineau dans l’ancienne poterie familiale. Il rédige son dernier ouvrage plus personnel et philosophique Les pensées du silence.
Le lieu est propice au recueillement grâce à la bibliothèque aménagée au-dessus de l’ancien bûcher et grâce à l’un des fours qu’il a transformé en chapelle dans les années 1930. Celle-ci est consacrée et dédiée à la mémoire de sa famille, avec « la roue du tour en guise d’autel » comme le rapportait le céramiste Antoine de Vinck. Plusieurs habitants du village nous ont confié avoir été baptisés par le chanoine ou avoir officié à ses côtés lors de services religieux, dans le petit four.
En 1966, le chanoine quitte le Chaineau pour rejoindre une maison de retraite. Il fait alors don de sa maison familiale à ses amis et voisins Emilienne Lepage-Allard et Paul-Marie Lepage. Ainsi s’explique le nom de « Maison du Chanoine », donné par le couple Lepage en hommage à leur ami qui s’éteint en 1968, à l’âge de 88 ans. Le chanoine Grossier repose au cimetière de Treigny auprès des siens.
1970-2005 : le temps des expositions
Emilienne Lepage-Allard, enseignante en lettre, écrivaine et poétesse ainsi que son mari Paul-Marie Lepage, professeur de dessin et peintre de paysages et de natures mortes transforment la Maison du Chanoine en un lieu dédié à l’art. Chaque été, de la fin des années 1960 à la fin des années 1970, peintures, sculptures, céramiques, œuvres sur papier et textiles contemporains prennent place dans les fours couchés et les anciens ateliers. Toujours intitulées Artistes de Bourgogne, ces expositions de très grande qualité et mues par des esprits libres et cultivés, rencontrent un franc succès auprès d’un public fidèle et éclairé. Les céramistes Anne Kjaersgaard, Jean Linard, Pierre Lion, Jean Cacheleux, Jean-Michel Doix, Alain Gaudebert, Robert Deblander, Gilles Duru, Fance Franck, Antoine de Vinck ou encore Charles Gaudry sont régulièrement exposés.
Après le décès de son mari en 1976, Madame Lepage poursuit les manifestations un temps puis confie la mission aux céramistes Robert Deblander, Alain Gaudebert et Jean-Michel Doix. A partir de 1982, les expositions sont désormais exclusivement consacrées à la céramique contemporaine. Un cadre officiel se définit et donne naissance à l’Association des Potiers Créateurs de Puisaye (APCP), composée de membres et d’invités. Notons entre autres : Marie-Pierre Méheust, François Eve, Martine Rouillard, Colette Biquand, Nicole Crestou, Dauphine Scalbert, Eric Astoul, Elisabeth Joulia, Claude Champy, Jacques Laroussinie, Laurent Petit… L’APCP occupe la Maison du Chanoine de 1982 à 2005. Chaque été, bâtiments et jardin accueillent des expositions, conférences, débats, démonstrations, cuissons, ateliers pour les enfants, concerts et projections. Le temps de l’APCP est une période intense de projets tournés vers un large public dans un esprit festif. En 2005, à la suite d’un différend juridique opposant l’APCP aux héritiers Lepage qui souhaitent récupérer leur bien pour le vendre, l’association est contrainte, non sans douleur, de quitter la Maison du Chanoine. Elle investit un nouveau lieu tout aussi prestigieux et poursuit son histoire : un charmant couvent (xve-xvie siècles) restauré par la commune de Treigny.
Depuis 2021, le retour des expositions
Durant l’automne 2019, le hasard et la chance nous font découvrir la Maison du Chanoine mise en vente par les héritiers Lepage. Lui redonner vie et caractère devient alors une mission qui nous paraît destinée. Collectionneurs de céramiques modernes et contemporaines et passionnés d’art, nous sommes souvent émus d’imaginer que tant d’artistes ont exposé en ce lieu. Le jardin, constellé de tessons de poteries anciennes qui sortent de terre dès qu’il pleut, prend des allures de chantier archéologique promesse de belles découvertes. Le plus fascinant demeure les deux fours couchés et leurs voûtes en briques en forme de carène inversée recouvertes d’émail étincelant.
La Maison du Chanoine fut un haut-lieu de la céramique pendant plus de trente ans. Nous souhaitons nous inscrire dans cette continuité tout en apportant notre pierre à l’édifice en tentant de mettre en place un cadre propice à la contemplation et à la créativité. La Maison du Chanoine redevient une demeure privée et familiale comme au temps du chanoine et reprend ses événements culturels saisonniers ouverts à un large public comme au temps de l’APCP tout en élargissant ses centres d’intérêt comme au temps des Artistes de Bourgogne.
Nous avons déjà présenté deux expositions, en collaboration avec deux galeries renommées. Ces événements prenaient place dans l’ancien atelier de fabrication de poteries et dans le grand four couché et ont fait l’objet chacune d’un catalogue.
La première exposition, intitulée Andrée et Michel Hirlet, du jardin à l’atelier, parcours céramique (août-septembre 2021) fut organisée avec la Galerie Prisme. Située à Paris, cette galerie est spécialisée dans le design d’après-guerre (arts graphiques, céramiques, luminaires peintures et sculptures) et représente les céramistes plasticiens Andrée et Michel Hirlet depuis 2004. L’exposition rassemblait pour la première fois un panorama représentatif du corpus lié au monde végétal, thème majeur abordé par couple d’artistes durant toute leur carrière.
La deuxième exposition, 25 ans, l’aventure d’une galerie en Puisaye (septembre-novembre 2022), fut le fruit d’une belle collaboration avec la Galerie de l’Ancienne Poste. Installée à Toucy, elle présente des artistes français et surtout des artistes étrangers de renom dont certains en exclusivité comme Ursula Morley-Price, Erna Aaltonen, Thomas Bohle, Sara Flynn, Matthew Chambers et Ann Van Hoey. L’exposition retraçait les vingt-cinq ans d’existence de cette institution qui compte parmi l’une des plus prestigieuses galeries françaises d’art céramique et demeure une référence internationale.
La grange de la Maison du Chanoine
Rénovation Less is more…
La Maison du Chanoine se dote d’un nouvel espace entièrement dédié aux expositions d’art et autres événements culturels. Accolée à une maison aux allures de cottage anglais pouvant faire office de résidence d’artistes, se dresse une ancienne grange datant du xixe siècle. Les deux bâtiments ont été entièrement restaurés et modernisés. L’enjeu principal de la rénovation était de préserver l’esprit de la grange dotée d’une charpente culminant à presque dix mètres de hauteur et de murs en pierres ferreuses typiques de la Puisaye. Injecter des éléments contemporains fut le second défi.
L’ancien est désormais magnifié par le sol en béton ciré et l’acier noir utilisé pour les grandes verrières et l’escalier en tôle pliée qui apportent modernité et sobriété. A mi-hauteur de cet impressionnant volume, un étage en mezzanine et sa passerelle métallique surplombent l’ensemble et permettent d’admirer l’élan vertical d’un des pignons en pierres apparentes. Variant du rouge au brun foncé, les pierres ferrugineuses sont mises en valeur par les autres murs blanc immaculé et le sol clair qui apportent respiration et dépouillement. A l’inverse, la majestueuse charpente en chêne vient réchauffer l’ensemble et casser une certaine austérité. Tradition et modernité se mêlent également avec aisance grâce au mobilier et aux luminaires. Un ancien établi rustique s’associe avec harmonie à une banquette au design épuré. Trois appliques créées par le designer chypriote Michael Anastassiades pour Flos et composées de tiges en aluminium usiné et anodisé s’affirment aux côtés d’une imposante bibliothèque de notaire fin xviiie siècle. Ces luminaires évoquent des croix décentrées et participent au sentiment de solennité qui habite cet espace. Elles sont un véritable clin d’œil à l’ancien propriétaire du lieu, le chanoine Grossier (1879-1968), qui a donné son nom à la propriété.
La Maison du Chanoine livre une histoire passionnante où se mêlent tradition et modernité, artisanat et art, production collective et expression artistique indépendante. Désormais, la mission de la grange nouvellement restaurée est de devenir un lieu d’échanges dédié à la création artistique où règne une atmosphère de calme et d’apaisement. Il était donc tout naturel que cet écrin accueille une première exposition sur le thème de l’art minimaliste, intemporel et vecteur de spiritualité.